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«Questions de temps», par notre F∴ Visiteur d’Anger

A la Gloire du G.A.D.L.U.

V.M. et vous tous mes FF en vos qualités et grades respectifs,

«Le temps, une notion abstraite»

Sujet délicat, mes FF, car le temps de se poser la question, l’instant présent est le futur de celui où la question a été énoncée et se trouve encore dans le passé de la réponse à venir.

Quelle question obsédante que celle du temps ! Du fait de sa nature invisible, il demande pour l’évoquer d’être toujours en référence à quelque chose ou à quelqu’un. Bien qu’on puisse le diviser, il n’en est pas pour autant ni dissociable ni saisissable. Le temps est, parmi les propriétés fondamentales de l’Univers perceptible par nos sens, celle qui nous apparait la moins tangible, la plus difficilement appréhendable par l’esprit car la plus abstraite. Elle ne semble pas avoir de matérialité propre, nous n’en subissons que les effets. Et ceux-ci ne sont pas uniformes à travers le temps, l’espace ou selon les circonstances.

Il est ainsi évident que les sociétés agraires et pastorales de jadis évoluaient dans un espace-temps qui n’est plus celui des sociétés urbaines et industrielles et que les machines-outils n’obéissent pas au rythme des saisons ; ce qu’on appelle productivité aujourd’hui était autrefois dénommé précipitation.

De la même façon, le temps ne revêt pas une valeur identique d’un lieu à un autre et tout occidental voyageant en Inde, par exemple, évitera difficilement une exaspération qu’il pensera légitime devant les nombreux contretemps, différés et retards en tout genre. J’ai vécu de nombreuses années en Afrique et ai pu mesurer souvent la différence entre une mégapole comme Abidjan, où le temps est surcompressé et durci par les obligations professionnelles, et la brousse, où la conscience s’accorde aux pas lents des zébus et à la démarche souple et mesurée d’une femme revenant du marigot, une bassine d’eau sur la tête.

Enfin les circonstances modifient aussi notre perception du temps, et un amoureux attendant fiévreusement sa fiancée ne verra pas le temps défiler de la même manière que le téléspectateur anesthésié par l’émission stupide qu’il n’aura pas eu le courage d’éviter.

Nous ne possédons du temps qu’une perception momentanée et subjective et il ne nous est pas possible de nous arrêter pour observer et analyser le cours du temps. C’est ce qu’écrit Lamartine ; si nous connaissons tous le début de ce célèbre poème « O Temps ! Suspends ton vol… », les deux derniers vers de la quatrième strophe sont plus méconnus mais décrivent bien cette impossibilité : « L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; il coule et nous passons. »

«Peut-on cependant en déduire nécessairement que si notre vie d’être humain a un caractère irréversible, notre vie spirituelle soit quant à elle de nature réversible?» – Philippe de Champaigne: Vanité, ou Allégorie de la vie humaine

Est-il donc cependant possible d’approcher la question du temps de façon objective ? Nous nous y essaierons mais connaitrons là aussi l’impossibilité de parvenir à une définition qui nous satisfasse.
J’essaierai donc un niveau de réflexion plus pratique pour m’interroger sur la relation du F.M. au temps. Le philosophe Etienne Klein termine son ouvrage « Les tactiques de Chronos » par cette phrase : « Il faut apprendre à aimer l’irréversible ». Il signifie par là une autre façon de pratiquer le carpe diem et d’accepter notre mort comme une chose aussi naturelle que celle de respirer.

Peut-on cependant en déduire nécessairement que si notre vie d’être humain a un caractère irréversible, notre vie spirituelle soit quant à elle de nature réversible ? S’il peut sembler naturel, dans notre XXIème siècle, d’opposer par tout moyen temps profane et temps sacré, la distinction est-elle si absolue ?

I – Qu’est-ce que le temps ? Approche de la définition

Je ne rentrerai pas dans les définitions des dictionnaires : elles sont certes éclairantes mais par la nature de l’objet de l’étude nécessairement incomplètes et insatisfaisantes.

Il est des questions que l’on cherche à éviter car on se trouve très vite sur les rivages de l’infini avec une bonne migraine à la clé et du vague à l’âme à revendre car on ne peut pas ne pas songer au temps qui passe et à notre fin inévitable.

Et pourtant ! Si nous observons notre montre, que ce soit un bijou d’horlogerie comme il en est fabriqué ici ou une vague copie provenant d’un pays exotique, que constatons nous ? Nous voyons, quand elle existe encore, une aiguille tourner autour de son axe qui mesure, croyons nous un espace de temps. En est-il vraiment ainsi ? S’agit-il vraiment du temps ? Si cette montre cesse de fonctionner – la copie bien sur -, le temps s’arrête-il pour autant ? Bien sur que non même si notre organisation personnelle s’en trouve perturbée. Car en réalité nous mesurons des durées, des intervalles entre deux points déterminés qui nous donnent ainsi les références nécessaires à l’accomplissement des taches de notre vie.
Le temps existe, mais nous ne le mesurons qu’en référence à des considérations extérieures à lui-même, dans le cas ci-dessus le mouvement des planètes. Puisque nous sommes dans le domaine physique, peut-on raisonnablement penser que le temps pourra un jour être mis en équation ? Je vous ferai grâce, mes FF, d’un résumé de la connaissance actuelle, d’abord par ce que je n’y comprends rien et ensuite parce que nous manquerions réellement … de temps.

Mais nous ne pouvons quand même pas ne pas évoquer la célèbre théorie d’Einstein sur la relativité restreinte, qui date de 1905 – mon Dieu, que le temps passe vite ! -. Je vous ferai grâce de considérations que seuls comprennent quelques Prix Nobel, mais un des effets notables de cette théorie est celui de la dilatation du temps ; et là, même la plus sophistiquée des montres suisses est dépassée !
Et ce n’est rien si nous évoquons la théorie de la relativité générale où dans ce cas la courbure de la gravitation ralentit le temps par rapport à celui mesuré hors du champ de gravitation.

Pour écrire ces quelques lignes, j’ai eu sous les yeux les équations qui s’y rapportent et ai immédiatement acquis deux certitudes : la première est que si j’avais été astrophysicien (à supposer que j’en ai eu les capacités) je n’aurais jamais eu le temps nécessaire pour faire la conquête de ma femme ; la seconde est que quelques soient ces théories d’une grande complexité, elles ne font, comme notre bonne vieille montre que mesurer le temps, tout en en complexifiant la lecture puisque l’heure lue à ma montre peut ne pas être la même selon l’endroit où je suis et la vitesse à laquelle je me déplace.

Si les physiciens, mathématiciens et autres astrophysiciens n’ont pas encore pu définir le temps par une équation, qu’en est-il des philosophes ? Ici aussi il ne serait pas raisonnable de procéder à une analyse exhaustive des études, textes et commentaires publiés au cours des Ages, car cette question du temps – qui se traduit par « pourquoi dois-je mourir ? » – a toujours obsédé l’homme.

Dans le Timée, Platon, exposant sa conception du temps, écrivait que celui-ci était « l’image mobile de l’éternité immobile » ; pour lui, le temps ne pouvait se comprendre que dans son rapport à l’éternité.

Aristote, quant à lui, évoquait pour parler du temps, « le nombre du mouvement selon l’avant et l’après » ; considérant un évènement donné, il y mettait en quelques sortes deux bornes, deux instants, l’un antérieur à l’évènement et l’autre postérieur, le passage de l’un à l’autre étant tout simplement …. le temps.

Il peut sembler que ces deux approches soient opposées puisque l’un définit le temps par rapport à l’éternité, c’est-à-dire par rapport à un référentiel extérieur, et l’autre comme une succession d’instants, c’est-à-dire par une quasi tautologie. Peut-être, mais en disant du temps qu’il est dérivé du mouvement, Aristote lui attribue une qualité inhérente de mobilité.
La notion de temps a toujours été de toute façon une source d’opposition entre les philosophes réalistes, pour qui le temps a une existence propre extérieure à l’Homme et les idéalistes qui nient, ou doutent, de l’existence d’un objet ou d’un concept indépendamment de l’esprit humain.
Une chose est à peu près certaine, la publication en 1905 de la théorie de la relativité a mis un terme à la querelle issue de l’opposition entre ceux qui, comme Newton, affirmaient que le temps, comme l’espace d’ailleurs, avait un caractère absolu et ceux qui, comme Leibniz prétendaient au contraire qu’il avait un caractère relationnel.

Je pourrais continuer longtemps, au risque de vous faire périr d’ennui, mais force est de constater que l’approche philosophique, comme l’approche scientifique, nous laisse sur notre faim.

Peut-être est-il impossible de définir le mot « temps » ; Pascal le qualifiait de « primitif » dans la mesure où sa nature fondamentale le rendait impossible et surtout inutile à définir.

La réponse serait-elle là ? Si le concept est primitif, c’est qu’il est donc intégré au processus de création de l’univers et est donc né du chaos primordial. Si la réponse complète n’est ni scientifique ni philosophique, peut-être est-elle de nature spirituelle ?

II – Le temps du F.M. ou l’approche spirituelle du temps

J’évoquais dans mon introduction l’opposition faite désormais au quotidien entre temps profane et temps sacré.

Il semble bien qu’il n’en ait pas été toujours ainsi. L’adjonction du qualificatif « profane » traduit une dégénérescence spirituelle de l’homme moderne car dans une société traditionnelle tout est sacré. Dans tous les récits et mythes sur les Origines, l’homme y est présenté comme proche du Principe Créateur et vivant auprès de lui ; sa désobéissance le condamne à être exclu de l’espace sacré, et donc du temps sacré, et de subir sa condition de mortel. Le temps commence alors à être décompté pour lui comme pour toute chose : les notions de commencement et de fin font leur apparition.

Pour autant cette condamnation à la putréfaction inévitable de tout être ou toute chose peut être levée : ainsi les religions issues du Livre, et ce ne sont pas les seules, permettent à l’Homme d’espérer le retour à la perfection et donc à l’immortalité par le travail et le perfectionnement spirituels.

Ce travail, cette progression vers la Lumière, ne peuvent se réaliser qu’en dehors du monde profane, loin du tumulte et de la soumission de l’homme à la matière, et donc dans un monde sacré, c’est-à-dire dans un espace et un temps sacrés. Les Eglises ont pour diverses raisons, et notamment pour marquer la prééminence du sacré sur le profane, institutionnalisé un des aspects – l’espace – et bâtis des édifices consacrés une fois pour toutes : la dimension sacrée est complète au moment des offices, pendant la durée de ceux-ci.

Nous autres FF MM avons appris à pratiquer l’Art Royal, celui d’ouvrir par nos Rituels une porte sur un monde hors du temps, dans lequel nous sommes affranchis de toute limite puisque ce monde est imaginaire. C’est donc par nos Rituels que nous quittons le temps profane pour accéder au temps sacré, puis retourner à nouveau dans le temps profane auquel notre condition de mortel nous rattache indissolublement.

Pourtant, il m’arrive de rêver, comme chacun de vous peut-être – ou peut-être pas car vous êtes certainement plus sages – d’avoir la nostalgie de l’éternité, de vouloir restaurer ce temps mythique, abolir le temps profane, vivre humainement dans le temps sacré en sublimant la durée de ma vie dans un instant éternel, même si, comme Woody Allen, on peut penser que « l’éternité c’est très long, surtout à la fin ». Oui, qui n’a pas rêvé d’immortalité ?

Mais il n’en est pas ainsi et parce qu’il est minuit plein, il nous faut regagner les Ténèbres et assumer la part de chaos qui est en nous.

Ce n’est pas un moment de désespoir car nous savons que ce temps sacré reviendra.

Si le temps profane est lui irréversible – la mort suit toujours la naissance – il n’en est pas de même pour le temps sacré que nous recréons en Loge par la pratique de nos Rituels, entre midi plein et minuit plein. Ce temps sacré est en quelque sorte circulaire en ce sens qu’il est une espèce d’ « éternel présent mythique », expression que j’ai empruntée à Mircéa Eliade, que nous pourrions réintégrer par nos Rites.

Si nous voyons le temps sacré comme un mouvement circulaire sans fin dans lequel nous nous insérons à chacune de nos tenues, il est tentant de voir le temps profane comme un temps linéaire, doté d’une inclinaison pour que la mort suive toujours la naissance. Mais ne nous faisons aucune illusion : même si nous avons la capacité d’intégrer un temps sacré circulaire, celui-ci continuera à progresser le long du temps profane linéaire et lorsque nous aurons réintégré celui-ci, ce ne sera pas à notre point de départ…

Alors, le temps passé hors de nos loges, hors de nos églises pour certains d’entre nous, n’est-il que du temps perdu ? Tout dépend de la réponse que vous ferez à ces questions : que faîtes-vous de votre temps, mes FF ? Quel pouvoir gardez-vous sur lui ?

Si nous utilisons l’étincelle de temps que nous a donné le Créateur, à faire à autrui ce que nous voudrions qu’il nous fasse, si nous faisons du temps la manifestation de nos convictions les plus profondes et non l’expression de nos faiblesses, alors nous aurons l’impression de ralentir le temps ou peut-être mieux de ne plus le considérer comme un ennemi.

J’ai trouvé très belle cette phrase du poète brésilien maintenant décédé Mario Lago : « J’ai établi une entente de coexistence avec le temps : il ne me poursuit pas, je ne le fuis pas. Un jour nous nous rencontrerons. »

Les jours perdus ne sont pas les jours passés, ce sont ceux qui n’auront servi à rien. C’est pour cela que nous devons utiliser le temps qui nous est imparti à nous construire nous-mêmes, à travailler sur nous-mêmes. Et le meilleur moment pour ceci c’est le temps que nous passons en loge, quand nous réintégrons le temps sacré. Là nous pouvons prendre le temps de nous retrouver face à nous-mêmes, loin de la foule qui ne vit que pour l’instant présent ; là, dans ce temps sacré, nous pouvons retrouver les conditions de sérénité, de paix et d’harmonie qui nous sont nécessaires pour assumer notre statut d’homme libre et progresser vers la Connaissance.

Et cette démarche nous dépasse, mes FF. Car dans ce temps sacré, nous retrouvons les FF qui nous ont précédé, qui ont – non pas montré le chemin – mais affuté les outils qui nous permettront de trouver notre propre chemin. La transmission du savoir, qui est au cœur de l’écossisme, s’accomplit au cours de nos tenues : n’est-ce pas là une forme d’éternité ?

Oui, mes FF, je conclurai en affirmant avec force que le temps que nous vivons dans nos loges n’est pas du temps perdu. C’est ce temps sacré qui permet à la Sagesse, par le détachement progressif des passions humaines incontrôlées et par la bonté qu’elle génère de faire régner la Paix sur le monde ; c’est ce temps sacré qui utilise la Force qui est en nous pour canaliser nos énergies et maîtriser nos passions et pour créer cette capacité d’écoute qui seule permet de développer l’Amour fraternel ; c’est ce temps sacré, enfin, qui nous permet de percevoir la Beauté qui est autour de nous et en nous et qui, par le truchement de l’harmonie, engendre la Joie que nous ressentons à découvrir les merveilles de l’univers et les trésors qui se cachent dans le cœur de nos FF.

Il a beaucoup été question de temps pendant cette planche et j’espère, mes FF, que je ne vous ais pas trop pris … de temps. En ce qui me concerne, le temps passé à sa rédaction n’a pas été du temps perdu même si j’ai bien conscience de ne pas mieux savoir ce qu’est le temps aujourd’hui.
Je ne me lamente pas trop car après tout c’est Saint-Augustin qui a écrit dans ses Confessions (Livre XI) : « Quand on ne me le demande pas, je sais ce qu’est le temps ; quand on me le demande, je ne sais plus ».

J’avais prévu de laisser Saint Augustin conclure à ma place, mais en mettant la touche finale à cette planche, j’ai appris que je deviendrai, pour la première fois, grand-père en novembre prochain. Quel bonheur que le temps qui passe !

Quelques jours plus tard, mon père était admis aux urgences. Putain de temps qui passe !

J’ai dit V.M.

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A∴L∴G∴D∴G∴A∴D∴L∴U∴

La Loge Tradition, fondée le 24 septembre 1972 à l'Orient de Lausanne et portant le No 51, est membre de la Grande Loge Suisse Alpina et travaille au Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA).

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