Planche lue par notre Frère José Oberhauser. en date du 10 mai 2003 à l’occasion de la visite de notre sœur loge David d’Angers à l’Orient d’Angers.
La signification de l’alliance maçonnique dans son ensemble ainsi que sa possible pérennité, sont de vraies interrogations qui concernent tous les frères ici rassemblés, toutes loges ou toutes obédiences confondues.
Les fondations de l’alliance nous sont familières, elles sont déjà visibles lors du premier rituel qui marque l’entrée du profane en franc-maçonnerie. Nous sommes tous convaincus que la chambre obscure que nous avons appelée “cabinet de réflexions” contient, sans exception, tous les symboles qui font l’essence de notre Ordre.
Ce savoir nous réunit, il n’est cependant pas suffisant pour assurer notre pérennité, car notre durée ne jaillira pas de nos connaissances. Cette pérennité n’est, en fait, dépendante que de nos pensées, de nos actions et de nos attitudes quotidiennes.
Ainsi, aujourd’hui, observant ces actions et ces attitudes, je crois pouvoir affirmer que la franc-maçonnerie, dans sa dimension originelle et ésotérique, est en grave danger. Depuis longtemps déjà, l’Ordre bascule insensiblement vers des préoccupations troubles qui réunissent, sous un dais plus ou moins commun, des hommes persuadés de détenir individuellement une vérité figée, des hommes sans mouvement.
Puisque nous sommes tous réunis ici ce soir, j’aimerais vous associer à ce sentiment que de nombreux Frères partagent. Peut-être, pourrions-nous tenter de mettre en mots ce mal-être ainsi que l’origine de cette faiblesse.
La philosophie et l’enseignement maçonniques sont tout entiers articulés autour de la rechercher d’une pierre et de sa rectification symbolique.
Tous les maçons savent qu’ils sont la Terre du V∴I∴T∴R∴I∴O∴L∴, ils savent que le joyau central est en eux et que la rectification concerne leur propre conscience.
Alors quoi ? Que se passe-t-il ? Le secret nous est connu, nous en parlons dans nos planches, nous y faisons référence dans tous nos rituels, chaque franc-maçon tente, selon ses capacités et à son propre rythme, de rectifier sa pierre et malgré tout… cela n’est pas suffisant.
Cela n’est pas suffisant mes Frères car nous avons négligé une des composantes essentielles du secret initiatique. Nous avons tous un peu oublié qu’il y a deux préalables au voyage dans les profondeurs de l’être : d’abord une expérience initiatique partagée ; puis, une transformation individuelle qui correspond à l’exigence supérieure de cette expérience[1].
Cette exigence supérieure c’est la PRATIQUE dans le sens le plus commun du terme!
La pratique, c’est l’application, jour après jour, dans la vie quotidienne, de la première expérience initiatique. La pratique, c’est la constante revendication à une appartenance spirituelle. La pratique, c’est l’application de cette exigence morale par celui qui a compris que l’essence de l’être est individuelle mais aussi commune en chacun.
Par-delà l’initiation, la pratique quotidienne est la Voie initiatique. Il n’y a pas d’autre manière de progresser sur ce chemin !
Aujourd’hui, il est nécessaire d’admettre avec lucidité que, dans notre grande majorité, nous avons délaissé cette pratique. Sauf à de rares exceptions, les francs-maçons ne sont, dans leur vie publique et familiale, que des initiés virtuels. Des initiés qui se comportent comme des profanes sans foi ni compassion. Des initiés qui pensent que l’échelle initiatique se gravit aussi aisément que l’échelle des grades.
Je ne parle ici pas des responsables des “affaires”, je ne parle ici pas des rares moutons noirs accueillis par erreur dans la bergerie. Je parle ici de moi, je parle de vous.
Avoir reçu l’initiation ne fait pas de nous des initiés.

Initiation en plein air au Canada. A tous les solstices d’été et depuis 150 ans, la loge Golden Rule tient sa tenue au sommet du mont Owl’s Head. Cette illustration décore le hall d’entrée du temple maçonnique de la Grande Loge du Québec. (Wikimedia)
L’initié est celui qui pratique la Voie. L’initié est celui qui, dans le silence de l’esprit, regarde et se tait. Il est celui qui, ayant compris l’humanité partagée, s’abstient de juger. Il est l’ami lucide qui nous laisse à nos joies et participe, si nécessaire, à nos peines. Il est celui qui suggère et aussitôt s’en va. Il est celui qui souvent se trompe et le reconnaît sans honte. Il est celui qui avoue ne pas savoir, celui qui laisse partir et devient, par l’abandon, plus riche encore.
Cet initié, mes Frères, n’est pas le produit d’une imagination ayant fumé de la métaphysique. Cet initié est tout simplement un homme et cet homme nous ressemble comme un Frère, il est ce que nous sommes depuis que le souffle fut sur le monde.
Il partage nos doutes, nos souffrances et nos exaltations. Seul, un minuscule pas nous sépare, une infime différence qui tient en deux mots : espérance et détermination.
C’est par espérance et par détermination que sans cesse, malgré les obstacles de la vie, il retourne encore et toujours à sa pratique initiatique. Son espérance est son fanal, sa pratique constante est sa force. Elle est aussi un peu sa solitude car, ainsi est le chemin. Du moins au début.
Nous nous disons membres d’un Ordre initiatique et pourtant, nous continuons à nous enfermer dans nos connaissances livresques et pourtant, nous négligeons la pratique de la quête initiée en ces lieux et pourtant, nous persistons à séparer le Temple maçonnique du Temple de la vie.
Si les francs-maçons n’acceptent pas les exigences de leur appartenance, la franc-maçonnerie dans son ensemble ne survivra pas.
Il n’est cependant, mes Frères, pas trop tard, notre réduit obscur déborde d’outils. Espérance et détermination, mettons nous au travail. Le Temple de la vie a besoin d’aide, ici et maintenant. Par la pratique quotidienne, devenons, ensemble, de petits initiés, humbles et rayonnants.
Vénérable, j’ai dit.
Discussion
Les commentaires sont fermés.